Phare clinique : L’allaitement, entre aspirations et contraintes

8 juin 2021

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Capsule professionnelle
L’allaitement : entre aspirations et contraintes

« L’allaitement à la fois la plus belle chose que j’ai vécue et la plus difficile. »

Mon petit parasite d’amour, c’est le surnom que Sandrine (nom fictif) donne à son fils qu’elle allaite exclusivement depuis déjà plusieurs mois. Un parasite est défini comme un organisme vivant qui vit aux dépens d’un autre organisme. Au sens figuré, ce terme peut renvoyer à quelque chose de gênant ou d’envahissant. Bref, en liant un terme qui n’a pas particulièrement une connotation positive avec ce surnom exprimant son affection, Sandrine illustre bien l’ambivalence dans le vécu de l’allaitement.

S’appuyant sur des études démontrant ses bienfaits sur la santé, le discours officiel de la santé publique affirme que l’allaitement maternel est bien pour toutes les femmes et surtout tous les enfants*.

*À l’exception des femmes séropositives au VIH ou pour d’autres raisons de problèmes de santé spécifiques (lésions d’herpès sur la poitrine, tuberculose active, etc.).

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En revanche, comme le reflète l’exemple ci-dessus, les réalités de la maternité et de l’allaitement sont des expériences plus ambivalentes et complexes que ne le laisse entendre ce discours universel de la santé publique.

5 profils de vécu de l’allaitement 

Dans cet article, nous vous dressons cinq profils de vécu de l’allaitement basés sur les propos de mères ayant participé à l’étude sociologique Entre aspirations et contraintes : analyses du vécu de l'allaitement maternel chez les primipares au prisme des inégalités sociales.

Les données de cette étude qualitative ont été recueillies grâce à un suivi du prénatal au postnatal auprès de 20 femmes vivant leur première grossesse par l'entremise des entretiens prénataux au troisième trimestre de grossesse, des journaux de bord et des entretiens postnataux à six mois après la naissance de l’enfant.

Voici donc la synthèse de ces différents profils : 

Les chanceuses

Ce profil correspond aux femmes qui n’ont pas eu de difficultés particulières ou de grandes douleurs. Elles se décrivent comme chanceuses ou privilégiées. Elles le font notamment parce qu’elles savent que leur vécu d’allaitement n’est pas universel. La poursuite de l’allaitement est ainsi associée à son bon déroulement. Elles se font donc un point d’honneur de se distancer de certaines femmes qui persévèrent malgré des problèmes physiques importants. Elles affirment qu’elles n’auraient pas continué si elles avaient eu à affronter des obstacles tels qu’une diète d’éviction, des douleurs aux seins, ou autre. Elles perçoivent négativement celles qui le font, disant qu’elles s’« acharnent » ou se « torturent ». Cette figure stéréotypée de l’ethnicité « acharnée de l’allaitement », qui est décrite par les participantes en période prénatale dans le but d’établir leurs propres limites dans l’éventualité d’un allaitement difficile, se concrétise dans le type des « combattantes ». 

Les combattantes

Les combattantes se disent « fortes » et se décrivent particulièrement par leur « persévérance » (et non « acharnement »). On note une forte valorisation du sacrifice maternel dans leurs propos, ce qui s’inscrit dans l’expérience de la maternité intensive. Ce parcours de la combattante correspond typiquement aux femmes qui affrontent beaucoup de difficultés, mais qui poursuivent malgré tout. Ce parcours est glorifié autant par la femme qui l’a vécu que par les professionnels de la santé. Bien qu’en période prénatale, les femmes ne veuillent pas « s’acharner », lorsque des difficultés importantes d’allaitement se présentent et qu’elles poursuivent, l’acharnement se transforme en persévérance dans le discours qui passe du péjoratif au valorisant.

Les performantes

Le vécu des « performantes » se caractérise par la difficulté d’accepter le sentiment d’incompétence vécu lors de l’allaitement, notamment en raison de l’habitude de réussir dans la vie quotidienne. Comparativement aux mères « chanceuses » qui ont aimé leur expérience d’allaitement, celles-ci n’ont pas vécu une expérience positive, notamment du fait qu’elles se sont senties « nulles » ou « incompétentes » dans cette tâche. Certaines femmes rangées dans ce profil peuvent en venir à se tourner vers des moyens de maximiser leur production de lait (chercher du soutien médical pour maximiser la production de lait, s’« automédicaliser » au moyen de produits naturels, par l’utilisation de procédures médicales telles que la frénotomie*. 

*Incision d’un frein de langue qui empêche une mobilité normale de la langue.

Les spirituelles / engagées bio

Pour certaines femmes, l’allaitement est une expérience mystique, transformatrice et quasi sacrée. Elles décrivent une expérience plus grande qu’elles. D’autres mentionnent l’impact de ce choix sur l’environnement, dans la mesure où ne pas avoir recours à de la préparation commerciale pour nourrisson est présenté comme un acte écologique et politique. Dans les deux cas, les propos accentuent la naturalité du geste, sur fond d’appréciation de la beauté du processus biologique de l’allaitement, dans la continuité de la grossesse et de l’accouchement.

Les amères

La déception, la frustration et l’amertume émergent des rapports que ces mères ont avec les professionnels de la santé. Ces mères reçoivent des conseils ambigus, voire contradictoires des différents professionnels consultés ou alors, différents de ce qu’on leur a appris dans les cours prénataux. Cette situation fait en sorte qu’elles vivent une désillusion face à l’image de l’allaitement, comme étant naturel et facile, qu’on leur avait présentée en période prénatale.

Au cœur de cette diversité des vécus se trouvent les différences sociales (immigration, statut socio-économique, ethnicité, etc.) des mères qui entrainent des conséquences nuisibles ou favorables sur le vécu et les pratiques de l’allaitement. En effet, certaines femmes sont dans des positions privilégiées, les disposant à vivre un allaitement ou un non-allaitement qu’on pourrait qualifier de « facilité » et « d’épanouissant ». Pendant ce temps, d’autres n’arrivent pas à le vivre comme une expérience positive et non contraignante, sous l’effet de conditions sociales étouffantes. 

Les mamans, dans quel(s) profil(s) vous reconnaissez-vous?

Annick Vallières Ph.D, APPR à l’équipe développement et évolution des pratiques à la DSMREU

Pour plus d’informations ou pour obtenir une copie électronique de la thèse, communiquez avec Annick Vallières. 

Pour nous écrire : phare.clinique.cisssmo16@ssss.gouv.qc.ca

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